top of page

Galerie Harmattan
40, rue Saint Jean 74120 Megève FRANCE
Tel. +33 (0)6 67 01 93 81

Dernière mise à jour : 14 déc. 2018


L’époque est à la vitesse, l’époque à l’immédiateté, l’époque est à la spéculation.


La technologie numérique intervient dans le domaine de l’art comme dans tous les domaines. Que ce soit bien évidemment dans le commerce de l’art, que plus curieusement dans la création artistique elle-même. D’un bout à l’autre de la chaine, mais en fait l’un et l’autre étant étroitement liés.


Dépassons un instant le débat sur le commerce dont on ne sait pas encore ce sur quoi il débouchera dans les années à venir… (des galeries physiques, ou en ligne, comme des magasins de détail qui se multiplient sur internet au détriment des commerces avec murs et vendeurs, même les producteurs artisanaux s’y intéressent dans un soucis -légitime- de circuit court.)


Créativité ; l’art et l’informatique.

Il faut distinguer trois choses :

-l’informatique comme objet d’art ;

-l’informatique dans le processus de fabrication ;

-l’informatique dans le processus de création.


Et intimement lié à ces questionnements : qu’en est-il de la perception des spectateurs.


Dans la filiation des machines de Tinguély, l’informatique pour sa beauté mystérieuse-évocatrice-intrinsèque ou même pour ce qu’elle montre de notre société a tout à fait sa place dans l’art. Entre tautologie impénétrable, et fantasme technologique universel, l’informatique pour bien des raisons et bien des aspects renvoie pour moi à la beauté d’une carte géographique ancienne. On la regarde, on la dissèque de notre intelligence on la confronte à notre connaissance, à celle qui l’a vu naître ou celle qui la contemple bien des années plus tard. Elle est tour à tour et en même temps visionnaire et désuète, belle et d’une beauté étrange. La mise en scène de l’informatique est d’autant plus difficile que l’informatique est multiple : montre-t-on un langage (de codes, d’octets, de bits ?), ou des actions informatiques (comme les interactions de différents programmes), ou encore les éléments physiques (condensateurs, processeurs, circuits imprimés…)… l’appropriation artistique est possible à bien des niveaux et peut être tout aussi intrigante qu’une machine de Tinguely, ou toute aussi spirituelle qu’un moulin à prière ou un phylactère…


Ensuite, de la même manière que l’industrie s’est appuyé sur l’informatique pour progresser, les artistes ont utilisé les outils à leur disposition pour progresser ou défricher de nouveaux territoires. De l’impression numérique qui remplace les tirages argentiques ; de la traditionnelle technique mixte faite de découpages et de collages désormais photoshopée en haute résolution ; du modelage traditionnel de la terre supplanté par un logiciel de conception assisté par ordinateur qui imprime une cire en 3D avant de couler un bronze… tout peut se faire par ordinateur. Et si l’on veut coller au marché, il ne s’agit pas de pouvoir le faire informatiquement, mais de devoir le faire informatiquement. Il en résulte une diminution considérable des coûts. Plus de personnel payé à faire des agrandissements ou des réductions d’un bronze, juste un fichier vectorisé ou au pire un scanner 3D. Plus de rouleaux de pellicule à révéler, juste des fichiers à éditer. Plus de tubes de peinture, de toiles à préparer, ni de pointes Rotring usées, juste le « tableau magique » d’un écran d’ordinateur, un logiciel performant et un bon technicien. Le tout sortira sur dibon, sur toile ou même en polymère…


Est-ce bien, est-ce mal ? Je n’ai pas un avis arrêté sur la question. C’est juste ainsi. A mon sens il n’y a aucun intérêt à aller contre l’utilisation de l’informatique dans la fabrication d’une oeuvre. Ce serait comme de remonter le temps, et d’être peintre à l’orée de la photographie. Considérer au XIX° siècle la photographie comme une aberration artistique était certainement très commun. Mais cela a-t-il changé quoi que ce soit à l’implantation de la photographie dans le paysage de l’art. Non.

D’ailleurs, curieusement, les photos les plus belles à mon sens sont aujourd’hui celles qui composent des scènes comme le faisait encore la peinture lors de l’apparition de la photographie. Je pense aux œuvres de David LaChapelle… ce que je veux dire, c’est qu’il a fallu un siècle à la photographie pour rivaliser avec la qualité/complexité de la composition d’une peinture en évitant soigneusement les facilités des avancées technologiques de l’informatique. Comme un pied de nez, tandis que la peinture, elle, s’est réinventée complètement pour nous offrir le XXème siècle ! Dégénérée pour certains, j’aimerai dire régénérée…


Il y a donc un intérêt à ne pas rejeter l’implantation de l’informatique dans le domaine de l’art. Car, même si personne ne sait où elle nous emmènera, l'informatique à tendance à favoriser la créativité plutôt que de la restreindre. Et cela quand bien même la fabrication délimiterait les pourtours de la création et donc que la technologie subordonnerait l’esprit.


Qu’est-ce que cela change à l’œuvre d’art ? cela la change-t-il seulement ?

Oui et non. Tout d'abord, ce qui n’existe pas encore, n’est pas à regretter.


Ce que l’informatique apporte elle le prend ailleurs (voire le perd ailleurs).

L’informatique occupe pour certains artistes une part prédominante dans le processus de création.

Cela libère l’artiste de contraintes dans la conception et l’emmène vers des choix qu’il n’aurait pas même envisagés auparavant et participe ainsi directement de la création. Comme l’architecture s’est métamorphosée depuis une vingtaine d’année par l’usage de puissants logiciels/ordinateurs.

Ainsi l’informatique n’est pas seulement au service de la conception, mais la conception devient-elle dépendante de l’informatique. C’est-à-dire que l’artiste n’a plus en tête un projet qu’il souhaite réaliser, mais des outils qui lui permettent de réaliser certaines choses… et ces outils l’emmènent dans un processus de création, et non l’inverse. L’inverse justement… Avoir un projet, s’y employer, prendre le temps de la réflexion et trouver les moyens de le réaliser… Cela ne génère pas seulement une œuvre mais cela amalgame à cette œuvre une pensée, un cheminement, des détours, voire des repentirs… et en cours de route un sens ou une âme. Sans avoir peur des mots. Ce que l'informatique a apporté en terme de rapidité ou de nouveauté elle le perd ici en terme d'épaisseur, de profondeur.


De l’usage de l’informatique il résulte principalement une accélération de la conception mais aussi un bornage technique de la fabrication. L’outil informatique permet d’automatiser des taches, de les multiplier sans contraintes de temps et le cas échéant de revenir dessus en un clic. Mais jamais d’aller au delà des capacités d’une machine qui n’est pas modifiable par l'artiste lui-même.

En revanche le processus artistique d’une peinture, ou d’une sculpture, s’il est laborieux, il est aussi infini. Car il n’a pas de limites arbitraires liées à son outil. Des générations d'artistes ayant éprouvé et affiné l'outillage, et lui-même étant souvent en capacité de l'adapter à ses besoins.

Ainsi, « l’avantage de l’inconvénient » d’utiliser sa main plutôt qu’un clic, est l’obligation d’une certaine lenteur qui laisse le champ libre à l’esprit pour s’approprier une forme, un volume… et donner à la création la qualité d’une oeuvre d’art.


On voit s’opposer ainsi un art traditionnel comme la transcription physique d’une pensée préalable et un art nouveau, né de possibilités qui se découvrent au fur et à mesure d’avancées techniques.

Le premier est un art du fond et le second un art de la forme. Le premier est poussé par des envies, le second est tiré par des possibilités.

Pour le premier, modeler de la terre, préparer une couleur, choisir un outil, pétrir la matière, sentir la résistance impose à l’artiste le temps du murissement, le temps de la réflexion. Une œuvre qui nait lentement d’un travail consciencieux, gagne en épaisseur à mesure que l’artiste réfléchit son œuvre. La pensée qui va avec le travail fait le murissement de l’idée qui accompagne la diligence du geste.

Dans le second, l’outil informatique compresse la latence du travail, comprime la durée du geste, et probablement fait disparaitre une partie de la réflexion. ll ne reste que des processus, que l’on annule ou répète d’un doigt sur une touche. Il serait faux de dire qu’il n’y a pas une pensée sous-jacente à ce travail. Car même s’il s’agit d’un clic, ce clic sert un but. Mais le but dans la pratique informatique de l’art est une expérimentation plus qu’une intention.

Dans tous les cas, intervient le regard de l’auteur qui juge la justesse de l’oeuvre. L’oeuvre terminée est-elle nécessairement moins aboutie, moins juste lorsqu’elle est informatisée ?


Il y aura toujours des artistes qui choisiront la facilité, quels que soient leurs outils. Et d’autres qui choisiront le travail et la réflexion quand bien même ils utiliseront ces mêmes outils. Je pense que l’oeuvre elle-même retranscrira les intentions ou le manque d’intentions de leur auteur… comme depuis toujours !

Pourtant une œuvre ne vit pas que par elle-même, malgré le talent supposé de son auteur.


On touche là une autre partie du problème.


Car aujourd’hui l’œuvre d’art ne vit plus à l’intérieur d’une époque mais à la marge d’une époque. Les œuvres d’une époque sont celles qui appartiennent à l’Histoire de l’Art. Or la création contemporaine a cette obligation d’emporter l’adhésion du public pour exister. Et cette obligation est d’autant plus importante aujourd’hui que l’art n’est plus l’apanage d’une élite intellectuelle, mais de tout un chacun, consommateur.

Elle se trouve toujours sur le fil du jour. Elle se doit d’être une promesse, un avant-gout de demain. Elle doit surprendre. Et rien de ce qui est connu ne nous surprend plus. Au-delà même de la force ou du raffinement d’une pensée brillante qui pourrait intéresser, si son enrobage n’est pas novateur, la pensée restera muette : il est tellement plus facile de créer et surprendre avec des outils/formes qui surprennent qu’avec des pensées/fonds qui surprennent !

C’est une fuite en avant où chaque avancée efface la précédente et où l’intelligence sous-jacente importe peu… même clairvoyante.


La différence entre l’art traditionnel et l’art nouveau issu de technologies nouvelles se trouve également dans le regard de celui qui découvre l’œuvre. Non-pas parce qu’il est cultivé ou non, mais plus plutôt en fonction de son mode de vie.

S’il consomme les technologies, il saisira en une fraction de seconde la beauté parfaite d’une production informatique tandis que l’œuvre de la main lui apparaitra un archaïsme. Sûr de lui, il décrète ce qui est beau. Il vit dans l’immédiateté et ne s’inquiète pas qu’elle s’applique à tout. Le consommateur d'art actuel va vite, très vite. Et en cela, il est en phase avec la création assistée par ordinateur.

Il aimera cet art nouveau aussi sûrement qu’il s’en détournera dès l’avancée technologique suivante.


L’artiste, qu’il soit traditionnel ou non, a un devoir d’éducation. Il montre des facettes de notre société toutes aussi importantes : l’obsolescence intrinsèque de la frange de la création… ou la pertinence d’un sujet maitrisé et réfléchi. Mais le spectateur lui, n’a plus la patience/culture de s’intéresser longuement aux choses qu’il consomme. La pensée qui va avec une création n’est pas à la portée de tous.

L’un des grands changements de notre époque (en plus des outils) est aussi et surtout l'amateur d'art lui-même.


Il est plus facile d’être artiste aujourd’hui qu’il y a quelques années. La société facilite la tâche en accordant davantage de temps dédié aux loisirs, et avec l’usage aisé d’outils informatiques qui compriment les complications en termes de temps nécessaire ou d’encombrement, chacun peut s’essayer à la création. Par ailleurs, une libéralisation des meurs permet d’assumer ou de revendiquer ce statut d’artiste plus aisément vis-à-vis des autres qu’à une certaine époque, ou pire… Là où être artiste est une vie, ailleurs c’est un accessoire chic.

Donc d’un point de vue général il y a de plus en plus de personnes qui se disent artistes… et chacun à son rythme se rend compte qu’être artiste réellement est une condition particulière de la vie. Le beau et le moyen ne suffisent pas. Mais d’ici qu’ils abandonnent ou se rendent compte qu’ils n’ont rien à dire, le mal est fait.


Pour ma part, j’ai toujours pensé que l’œuvre d’art est l’équilibre d’un sens juste et d’un rythme juste.

L’informatique bien utilisée permet le rythme/une forme qui peut être juste. Mais elle ne garantit pas le sens. Sans le sens, la réflexion, le fond, une peinture est au mieux juste belle, mais en aucun cas cela ne fait d’elle une oeuvre d’art. Ainsi à la question de savoir si l’esthétique induite par l’informatique peut suffire à une œuvre d’art, je suis tenté de répondre évidemment non. Pourtant, il est bon de considérer la réalité du marché.

Le marché, notre société actuelle, ne se préoccupe pas du sens des choses. Seule semble compter leur esthétique.

Se faire plaisir de choses qui nous semblent belles sans se soucier un seul instant des contingences qui l’ont mis au monde : qu’il s’agisse d’un logiciel de 3D qui génère des facettes, de l’outil « brush » de photoshop qui reproduit un pinceau brosse, des calques, des masques, de l’imprimante 3D qui donne de la consistance à la perfection d’un fichier informatique… sans souhaiter ni même espérer la petite imperfection qui fait de la beauté une rareté humaine. Et après tout… pourquoi souhaiter une imperfection?


L’informatique a en effet investi tout notre Monde, rendant abordable beaucoup de choses, soit en supprimant des intermédiaires techniques, soit en accélérant des processus. Le Monde de l’Art dans son ensemble est bouleversé : de la création à la commercialisation en passant par la fabrication.

Là où des galeristes jouaient le rôle de filtres techniques esthétiques (toujours discutables), mais au moins de garants déontologiques… les artistes sans connaissances ni des règles, ni des lois ont proliféré et produit tout et n’importe quoi…


Cela va bien avec notre époque, sa culture (ou son inculture) et ses préoccupations. Car finalement il faut se montrer et avoir des choses à montrer. Il faut occuper l’espace, et aller vite. Proposer des choses avant que d’autres ne le fassent, se servir sans vergogne de ce qu’un autre à imaginer. Plus ils sont nombreux à se copier moins ils se sentent responsables de ce qu’ils font… Il y a tant d’artistes aujourd’hui qui n’auraient pas pu exister auparavant.


De mon point de vue, je regarde cette frénésie d’un oeil un peu hagard. Car pour moi il me semble que la qualité importe peu, voire de moins en moins. Plus on voit de choses mauvaises plus cela dédouane les choses très mauvaises d’être montrées et vendues… et la clientèle, sans avoir aucun recul se laisse charmer par ce qui lui semble beau parce qu’elle l’a déjà vu tant de fois…

Malheureusement ceci est le fruit de notre époque : il faut aller vite et moins cher! l’outil informatique pour l’acheteur comme pour l’artiste est idéal. Les réseaux sociaux offrent une visibilité aux plus mauvais. La fabrication de multiples, de peintures imprimées ou faite au rétroprojecteur… de mauvaises copies de copies de copies… tout ceci va dans le bon sens! Ca c’est pour les plus crédules d’entre nous qui nous offrons des oeuvres à faible coût.


Un cran au dessus, il y a les grandes enseignes de l’art sur internet ou avec des murs. Ils ont flairé le potentiel de tous ces artistes inconnus qui ne demandent qu’un peu de reconnaissance. Ces enseignes connaissent les rouages du commerce et appliquent leur peu de morale à l’art. Ces nouvelles galeries sont des super marchés de produits soumis à une TVA réduite, mais à part cela, ce qu’elles vendent n’ont plus rien de l’œuvre d’art. Et parfois-même sans que le client ne s’en doute, ce qui lui est vendu (fort cher) n’est pas de l’Art, mais des objets de décoration. Il y a des règles, il y a des lois, mais pourquoi les expliquer aux clients? S’il achète à bas prix c’est parce que notre époque lui enseigne qu’il faut faire avant tout une bonne affaire… on ne va pas lui dire que ce qu’il achète pas cher ne vaut pas plus… et certainement même beaucoup moins!

Grâce à l’informatique tout est comprimé : les coûts, les délais… l’intelligence de l’artiste mais aussi celle du client. Peu importe, tant que ca semble beau.


Notre époque est donc à la vitesse dans la création artistique, la prolifération peut-être … Il faut aller vite, proposer plus de choses, en plus grand nombre, occuper l’espace. Car plus on est vu, plus les gens qui nous voient ont le sentiment que ce que l’on propose est bien, est connu, vaut le coup (coût). Notre époque est à cette immédiateté et à cette spéculation. Tout va dans ce sens et personne ne semble réfléchir sur ce que cela implique.

La recherche, le travail, le temps n’ont-ils plus leur place dans notre société ? Faut-il juste que cela soit beau ?

Est-ce être passéiste que de vouloir ralentir, travailler et aimer les choses pour ce qu’elles disent ?

Dans vingt ans je serai encore là. Je n’ai qu’un espoir c’est que mes clients aussi, et qu’ils soient heureux d’avoir acheté par mon biais des pièces qu’ils ne regretteront pas, parce qu’elles seront toujours belles, denses, chargée de sens…


Ces oeuvres ne diront rien de notre époque… en revanche elles y auront survécu !



Dernière mise à jour : 22 juil. 2023


Je lis souvent dans les avant-propos des catalogues d’exposition que les galeristes sont fiers et heureux de chercher, promouvoir, défendre tel ou tel artiste.


Et effectivement cela doit être la raison d’exister d’une galerie. Mais en réalité on retrouve dans la plupart des galeries les quelques mêmes artistes qui garantissent un chiffre d’affaire à leur propriétaire… des œuvres dont par ailleurs on oublie de dire, qu'elles ne sont parfois pas des œuvres d’art originales…


Dans une période où les galeries ferment c’est très certainement un repli salutaire que de présenter « ce qui marche » et d’oublier de défendre ce qui est plus risqué. Mais est-il bien moral ou normal de se transformer en supermarché et de garder comme enseigne ce terme de Galerie d’Art pour autant ? L’art est un marché, certes, mais c’est pour moi un abus que de vendre des produits qui ne sont pas de l’art, mais des représentations d’art. Comme les restaurants qui défendent la cuisine maison, les galeries sérieuses devraient elles aussi défendre les artistes authentiques et protester contre les établissements qui présentent des choses dont même le code général des impôts ne reconnait pas la qualité d’œuvres originales.

Tout d'abord, les oeuvres que je présente sont toutes originales, pas de fumisterie. Aucune lithographie rehaussée de quelques gouttes de peinture qui la ferait redevenir "uniques". Pas plus que de bronzes multiple chez moi.

Les peintures sont uniques et les bronzes numérotés en 8 exemplaires plus IV Epreuves d'Artiste. C'est tout. Je ne déroge jamais. Et de mon point de vue une Galerie d'Art ne devrait pas faire autre chose que cela.


Ensuite, les artistes que je défends sont un choix, ils sont mon choix, et pas celui d’un diffuseur grossiste VRP qui me proposent des « artistes » dont le seul intérêt n’est que le chiffre d’affaire qui les accompagne. Etre galeriste est en ce sens un travail fait de choix et de convictions. Pour que cela fonctionne, mes propres gouts doivent rejoindre ceux de ma clientèle. Mon goût, je l’ai forgé avec le temps, mon histoire… et c’est justement ce qui me plait, ce qui me fait peur mais aussi ce qui m’exalte dans ce métier.

Cela fait quinze années que je fais le métier de galeriste. Quinze années qui m’ont permis de m’affirmer, d’affirmer mon goût et ma manière de travailler. Ma première galerie fut une galerie dédiée à l’art primitif ainsi qu’à l’art contemporain africain. C’est d’ailleurs de là que vient l’enseigne de la galerie : Harmattan (comme ce vent qui souffle du Sahel vers le Golfe de Guinée. J’avais 23 ans et je rentrais tout juste de mon Service National.

Je ne suis ni fils de galeriste, ni enfant d’artistes. Mes amis, eux, au lycée étaient sans doute plus sensibles à l’art que je ne l’étais moi-même. Certains avaient reçu cette éducation, et par contact m’avaient transmis ce goût sans qu’il fut pour autant le centre de ma vie d’alors. Le lycée dans la vallée, puis l’université à Grenoble avant de partir pour le Royaume Uni. L’art, la créativité sont entrés plus profondément dans ma vie par le biais de la photographie et de l’infographisme que j’étudiais tandis que je fréquentais de plus en plus les musées, les expositions... Je me souviens d’une exposition de Francis Bacon à Beaubourg. Et tandis que les papes pleuraient sur le lin, je compris en un instant la force de l’art. Plus tard le Service National interrompit mes études pour m’offrir ma vie. Je devins graphiste pour le Centre Culturel Français de Lomé au Togo. C’est là et par le truchement de rencontres et d’opportunités que s’est précisée mon envie de créer une galerie. A mon retour d’Afrique j’avais acquis suffisamment de connaissances et de relations au Togo pour réaliser ce projet.

Mes débuts furent formateurs ! Tacher de convaincre des collectionneurs sur la qualité d’une œuvre est une gageure lorsque l’on est tout jeune. Je ne saurai trop remercier mes parents et mes amis pour m’avoir soutenu dans les premières années. Néanmoins un coup de pouce m’est venu de bien plus haut ! C’est à cette époque que Jacques Chirac a décidé de la création du Musée du Quay Branly. Et dans la foulée, l’engouement du public a contribué au développement de la galerie. Quant à moi, au printemps et à l’automne, je partais rechercher les œuvres dont j’avais besoin pour la saison suivante. Cette époque fut merveilleuse. Les voyages que j’ai effectués étaient formidables. Et les souvenirs que je garde des lieux et des rencontres me rendent nostalgique lorsque je me les remémore. Ce détour ou ce départ africain fut mon école d’arts. La puissance des sentiments, les valeurs mystiques véhiculées par l’art primitif, qu’il soit contemporain ou traditionnel est la meilleure expression de ce que doit être l’Art. Une machine à rêver (machine au sens de mécanisme). Quelque chose d’ésotérique peut-être, quelque chose de magique en tout cas. Et si les mots semblent quelque peu grandiloquents, c’est parce que le lecteur de ces lignes a oublié de considérer les sentiments qu’il éprouve spontanément face à une peinture qu’il aime. L’art doit entrer en chacun de nous. L'art débusque en nous des sentiments enfouis tellement intimes qu'il est difficile de les exprimer et encore plus de les formuler.


"Stangers" 91x91cm Papisco Kudzi

J’ai parcouru l’Afrique de l’Ouest et Equatoriale durant dix années. Dans un sursaut je m’y suis même installé deux années durant, confiant la galerie Harmattan à une amie d’enfance. A mon retour j’ai délaissé l’art primitif pour l’art contemporain. Les complications douanières m’avaient détourné de l’Afrique Noire. Et c’est ainsi que dix années d’expériences multiples dans l’art, la recherche, le commerce, m’ont amené à présenter les artistes avec lesquels je travaille aujourd’hui.

Si durant ces quinze années j’ai beaucoup évolué, on peut en dire autant du marché de l’art.

Les artistes, les clients, les règles qui faisaient fonctionner les uns avec les autres, tout cela a été chamboulé ! Ce que je vendais en franc a vu sa valeur multipliée par 6,56 (quoi qu’en dise les chiffres officiels de l’inflation) ; bien que la bulle internet aie éclaté, l’internet lui-même a offert aux artistes de devenir les autos-promoteurs de leur art. Ceux qui n’avaient pas le niveau ont pu offrir au monde leur incompétence en noyant par leur masse les quelques merveilleux artistes qui eux ne trouvaient pas de débouchés.

Puis la crise économique est arrivée. Le marché de l’art s’est métamorphosé un peu plus vite, faisant disparaitre nombre des galeries françaises traditionnelles, professionnalisant d’avantage les survivantes ; les grosses galeries ont grossi d’avantage puis essaimé ; l’Art des maîtres est devenu un placement et beaucoup de galeristes experts sont devenus des conseillers fiduciaires avant d’être des conseillers artistiques ; les galeries virtuelles, après avoir foisonné dans un superbe amateurisme, se sont structurées et professionnalisées ; et enfin, les lobbies intellectuels ou marchants ont eu peur que le marché de l’art avec un grand A ne s’effondre vraiment. La politique s’est alors empressée de créer des niches fiscales qui pour une raison d’échelle profitent bien avant tout aux artistes les plus chers, oubliant qu’ils sont aussi les moins nombreux, parfois les moins créatifs et de temps à autres les plus surcotés... ou était-ce à dessein ?

L’art a toujours été un refuge. Plus qu’un refuge, il est devenu ces dernières années un placement dont on attend un rendement. Pour toutes ces raisons les galeries et les artistes cherchent de nouveaux modèles, soit des niches en termes de technique ou de sujet, soit des schémas économiques différents. Certaines galeries diffusent des artistes à la mode. D’autres proposent de l’art à vil prix pour tenter de satisfaire le client appauvri en même temps que celui qui commence à s’enrichir. Quelques galeries s’évertuent à ne plus défendre l’originalité de l’art, mais au contraire à vendre des codes socio-culturels. « Dis-moi qui tu veux être, je te dirai quoi acheter. » Et comme tout cela n’a aucun fondement artistique ni moral, l’acheteur est fier d’avoir une œuvre tirée à « seulement » 150 exemplaires dès l’instant qu’il a vu la même pièce chez son patron ou dans un magazine. De son côté le vendeur se frotte les mains de vendre 150 fois la même sculpture en résine faite à l’usine mais « signée par la main de l’artiste ». Et le centre des impôts s’enrichit d’une pièce soumis à une tva haute parce qu’elle n’est pas une œuvre originale. Tout le monde y gagne, tant que le client ne veut pas revendre cette sculpture…

J’ai le sentiment que les galeries qui font flores, dans le sillage de celles traditionnelles qui disparaissent, ne sont que des machines à transformer de la décoration pas cher en décoration cher. Les galeries n’ont même pas besoin de faire croire que ce qu’elles vendent est de l’art. Les clients sont bernés par l’enseigne « Galerie d’Art » et croient sur parole le vendeur commissionné, comme pour de l’électroménager.

Quelle est la place du galeriste dans cette mutation ? en a-t-il seulement une, ou n’est-il pas un vestige d’une économie vieillissante ?

Lorsque j’ai commencé à travailler, il n’y avait qu’une seule manière de faire : dénicher les artistes, les rencontrer, s’engager auprès d’eux, les défendre. Mettre sur un piédestal leur confiance et leur offrir la nôtre. Et face au client, être honnête, ce qui pour moi est le gage qu’il ne sera pas déçu.

Que reste-t-il de cela lorsque l’artiste est un fournisseur qui produit pour des agents/diffuseurs qui eux-mêmes placent les œuvres dans autant de galeries que possible ? Les galeries connaissent-elles les artistes au-delà de leur plaquette de présentation ? Se portent-elles garant de ce qu’elles vendent ?

Le client encore une fois est floué : il a le double sentiment d’aimer ce qu’il voit et que ce qu’il voit est une valeur sûre.

Plus un artiste est visible, plus il donne le sentiment d’être connu, plus il donne le sentiment d’être connu plus il donne l’impression que son travail a une valeur certaine. Et de fait il se trouve dans une spirale qui s’appelle la mode… avec son revers futur.

Mais pour l’heure, pour rendre cet artiste visible il faut une armée de petites mains qui sont toutes rémunérées. Les assistants qui fabriquent davantage, les diffuseurs, les communicants, les galeries, les vendeurs… et cela à défaut de contribuer à la côte, contribue au prix.

Mon point de vue : cet art-là, en plus d’être bien trop cher, n’est que l’apanage d’une époque, comme les fleurs orange et marron des années 70.

Ce que les clients voient dans la galerie Harmattan correspond à mes choix artistiques. Ces choix n’appartiennent bien entendu qu’à moi. Si les clients aiment ce que je présente, ils peuvent être assurés que j’aime également ce qu’ils s’apprêtent à acquérir. Je ne propose pas des artistes parce qu’ils sont ailleurs, bien au contraire j’ai le secret espoir d’avoir déniché un artiste rare… non pas d’en avoir l’exclusivité en terme légal, mais d’en être le dépositaire privilégié pour me repaître à loisir de son travail exceptionnel et de sa qualité… comme le serait un client.

Comme disait l’austère Kant « Le beau est beau pour tout le monde », comme quelque chose qui flotterait dans l’air et qu’il suffirait de ressentir. Il y a des dénominateurs communs à l’art primitif, à l’art contemporain africain, à l’art tout court. Le beau a de nombreuses formes, il est multiple, mais surtout il doit être sincère.





Défendre le beau passe par des biais qui échappent à beaucoup de monde.

La fiscalité sur l’art fait partie de ces biais en garantissant un régime de retraite et de sécurité sociale aux artistes.

L’artiste est indissociable des diffuseurs d’art… que ce soit des marchants, des galeristes, des agents, des prescripteurs… des commissaires priseurs également. L’artiste pour être en lien avec son public a besoin de médiums.

Toute fois lorsque le médium est à son propre service avant de servir les artistes il se pose un problème. Les galeries traditionnelles se battent contre certains types de diffuseurs : les hôtels et les restaurants par exemple qui ont le sentiment de faire du mécénat en accrochant à leurs murs des œuvres d’art. Néanmoins loin de connaître la législation elles favorisent une distorsion entre les artistes qu’elles exposent et ceux qui tachent de vivre de leur travail. En effet : les artistes qui exposent dans ces lieux d’exposition « occasionnels » ne sont le plus souvent pas inscrits à la Maison des Artistes (qui gère leur régime de retraite et de sécurité sociale) ; de même ces adresses ne remplissent que très rarement leurs obligations et ne cotisent pour ainsi dire pas à ces mêmes caisses. Si « offrir » ses murs pour une exposition d’art, part d’un bon sentiment, les charges qui ne sont pas payées favorisent un dumping de l’art au profit d’artistes qui n’ont pas une activité viable. Ils occupent l’espace, et par la négligence des lieux d’expositions se soustraient à toute fiscalité. Il est très français de ne pas aimer payer des impôts. Pourtant chacun d’entre nous les payons et nous offusquons que certains tachent d’y échapper par n’importe quel moyen. Je n’ai de leçons à donner à personne, mais ce paradoxe français devient un syndrome dans un autre pays : la Grèce! On peut toujours chercher à payer moins cher les choses, mais qu’on ne se plaigne pas ensuite quand l’économie est cassée. Que les artistes ne se plaignent pas que la MdA soit brinquebalante, et que les diffuseurs ne se plaignent pas des redressements fiscaux.

Pour revenir à ces diffuseurs « occasionnels », ils sont très heureux de dénicher des artistes « coup-de-coeur », ils sont très heureux d’avoir leur murs décorés, ils sont aussi très heureux de toucher leur commission sur les ventes… mais pourquoi alors se défendent-ils de se considérer comme des professionnels de l’art. C’est un beau métier… mais qu’ils exigent des artistes qu’ils exposent de payer leurs charges, et qu’eux-même fassent de-même. Dans notre monde il n’y a que comme cela que l’on peut défendre la création artistique : en jouant tous le même jeu avec les mêmes règles.

bottom of page